XVIII/Un style Musical Centrafricain

1/ Le Montè Nguènè

Kaïda Monganga de Zokéla
Kaïda Monganga de Zokéla

Le Montè Nguènè (plaîsir) en mbati langue et ethnie du sud de la Centrafrique qui cohabite avec les Ngbaka est un genre musical qui tend à devenir une particularité du pays. Il est bien vrai que les Centrafricains participent eux aussi la création de la Rumba dite Congolaise. Mais l’absence de la promotion des artistes Centrafricains qui font de la Rumba fait que l’on ne leur reconnaît pas la paternité de ce genre musical. Et pourtant, l’un des pères fondateurs de la Rumba en son temps est le Centrafricain Jimmy Zakari. Aussi, la Rumba Centrafricaine chantée en Sango, langue nationale et officielle de Centrafrique est proche de Lingala, celle du Congo Démocratique voisin. D’ailleurs, lorsque des étrangers écoutent la Rumba Centrafricaine, ils la confondent à celle du Congo compte tenu des langues Sango et Lingala qui sont proches.

En fait, le Lingala est une langue de la région de l’Equateur (Congo Démocratique) qui cohabite avec le Sango, l’une des langues de la même région. La langue Sango vient de l’ethnie Sango qui vit à cheval entre la République Centrafricaine et la République Démocratique du Congo. Beaucoup de mots Sango et Lingala désignent la même chose : Maboko, (bras) ; Passi (Souffrance), Nzala (Faim), Tambula (Marcher) , Soukoula (Laver)… D’où cette confusion.

Groupe Zokéla
Groupe Zokéla

Alors, le Montè Nguènè est une occasion donnée pour les Centrafricains de se distinguer des Congolais. Ce faisant, la musique Centrafricaine va sans doute émerger comme le Makossa voisin. Aussi à la condition d’améliorer le Montè Nguènè qui demeure encore une musique brute. En fait, le Montè Nguènè est une musique traditionnelle de la région forestière de la Lobaye où vivent les ethnies Ngbaka, Mbati, Mozombo, Ngbaya de Boda et des Pygmées. A l’origine Le Montè Nguènè avec ses variantes Loudou, Mogbaté sont des musiques funéraires. Les ethnies de la Lobaye jouent et chantent le Montè Nguènè dans une veillée mortuaire pour marquer une joie de vivre après avoir pleuré des défunts. Chez ces habitants de la forêt, la mort est un moment de tristesse parce que l’on perd un être cher. Mais la mort est aussi une période de la vie, un départ pour l’au-delà. Pour cela, la joie doit accompagner ce voyage. Chez les Lobayens, partir avec la joie permet au défunt de ne pas souffrir dans l’au-delà. C’est pourquoi l’on chante et l’on danse jusqu’au matin. Le Ngombi, une cithare à dix cordes, trois à quatre tam-tams et un double cloches sont les instruments employés pour jouer le Montè Nguènè et ses variantes dans une veillée mortuaire.

La particularité de ce genre musical est sa rythmique syncopée et l’emprunt de quelques phrases polyphoniques des pygmées de la Lobaye pour enrichir le chant qui exprime la vie paysanne. La structure du chant se compose en général d’un court couplet suivi d’un petit refrain. Le rythme est très cadencé et se joue avec la caisse claire qui tombe en syncope pour laisser une percussion de deux bouteilles enrichir son tempo. Le double cloches est remplacé par deux bouteilles vides qui produisent une sonorité aigüe et qui marque le swing de Montè Nguènè. Les deux bouteilles sont jouées avec une fouchette. Cette tradition vouée aux morts est populaire à Bangui dans les quartiers des ressortissants de la Lobaye jusque dans les années 80 où elle tend à disparaître du fait des jeunes qui tournent le dos aux pratiques ancestrales et aussi pour l’évangélisation massive ces dernières années de la population Centrafricaine.

Kaïda Monganga
Kaïda Monganga

Los Négritos Makémbé est le premier groupe centrafricain qui adapte dans les années 70 le Montè Nguènè avec des instruments modernes. Francis Ferreira, José Ngoïta et Banguisso composent et jouent ” Centrafrique Go Layé ” sur le Monté Nguènè chanté en Ngbaka. La guitare solo de Francis Ferreira imitant le Ngombi, cithare à dix cordes présage déjà à cette époque l’adaptation de cette musique traditionnelle. Après Makémbé, dans les années 70 même, Super Bombolè, un groupe musical de jeunes de Mbaïki, grande ville de la Lobaye joue un répertoire composé en majorité de Montè Nguènè. Le Super Bombolè de Mbaïki est composé en partie de Matata, Jean Claude Biakoua, musiciens qui forment certains jeunes sur ce style nouveau.

Dans les années 80 quelques jeunes qui évoluent au sein du Super Bombolè de MBaïki arrivent à Bangui et montent avec des copains le groupe Zokéla pour jouer du Montè Nguènè. Ces jeunes parmi lesquels Assamba, Alino, Kaïda Monganga, Bébé Matou, Atossa, Liwanza et Vasco animent au bar Sagbado à la demande de son propriétaire Vincent Wilibiro qui participe de ce fait à la vulgarisation de cette musique. Ce dernier met à leur disposition des matériels et des instruments de musique qui permet à Zokéla d’animer des concerts ayant lieu chaque dimanche. Leurs concerts n’attirent que des paysans en majorité des buveurs de vin de palme et ressortissants de leur région la Lobaye parce que c’est la musique du terroir et cela les touche profondément. Comme un public chasse un autre, le public Centrafricain qui fréquente des lieux huppés hésite d’aller au quartier Kina, un faubourg populaire Banguissois où Zokéla joue proche d’une rue non bitumée et dont les prestations n’attirent que des indigents. Zokéla souffre longtemps de cette image et surtout de son public constitué pour la majorité des buveurs de vin de palme.

pirogues-kpakpoLes chansons de Zokéla expriment la vie quotidienne paysanne, la joie de vivre et la misère de la campagne. Leur premier enregistrement est non seulement un succès grandiose, mais une reconnaissance désormais de ce genre musical campagnard par les Banguissois. Cet enregistrement permet à Zokéla de sortir de son ghetto de Kina, d’aller se produire dans d’autres quartiers de Bangui. Avec le temps, Zokéla prend en compte des critiques et compose des chansons en langue nationale le Sango. Le groupe devient non seulement populaire, mais attire des producteurs de la place. L’argent et la rivalité divisent les artistes de Zokéla et le groupe est scindé en trois formations. Désormais il y a Zokéla National, Zokéla Iti ma Hyti et Zokéla Motiké. Le Zokéla participe aux festivals internationaux, mais ne parvient pas à se faire connaître au niveau mondial. Entre les années 90 et 2000 Zokéla National de Kaïda Monganga et Zokéla Iti ma Hyti de Di Baba Alagome sont produits sur disque par des Centrafricains amateurs qui manquent de moyens de marketing pouvant propulser ce riche patrimoine sur le plan mondial. Après trente années d’existence, cette musique tradi moderne, intègre la musique traditionnelle des ethnies Ali, Pana, récemment le Gbadouma de la Basse Kotto et peut-être demain le Ngarké de L’Ouham et de l’Ouham Péndé pour ne pas le confiner dans la Lobaye. Ce faisant, le Montè Nguène perd son caractère ethnique et devient une Musique Nationale Urbaine.

Enfin, la musique Montè Nguènè jouée par les Zokéla est sans doute une voie à explorer par nos artistes pour leur permettre de sortir des sentiers battus et se distinguer des autres. Une autre possibilité d’ouverture de cette musique Centrafricaine sur le monde est de la moderniser. Tout comme le Makossa qui s’enrichit d’apport du Jazz, de la Soul et de la Pop pour sortir de son ghetto, le Montè Nguènè peut s’inspirer de cet exemple pour exploser et devenir une style identitaire Centrafricain.

maziki.fr
Sultan Zembellat
Anthologie de la Musique Centrafricaine

 

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